3 question à … Cécilia NOCENT

Pneumologue et allergologue exerçant au Centre Hospitalier de la Côte Basque depuis plus de 20 ans, Cécilia NOCENT est spécialisée dans la prise en charge de l’asthme chez l’enfant, l’adolescent et l’adulte, avec une expertise particulière dans les formes sévères. Elle siège au conseil d'administration de la Société de Pneumologie de Langue Française, occupe le poste de trésorière au sein du Collège des Pneumologues des Hôpitaux Généraux, et est membre cofondatrice du groupe de travail « Femmes et Poumon ».

 

1. Quels sont les effets les plus fréquents de la pollution de l’air sur la santé respiratoire, notamment chez les personnes vulnérables (enfants, personnes âgées, asthmatiques) ?

La pollution de l’air comprend des gaz, des particules fines, mais aussi des aéro-contaminants comme les pollens. Chez les patients souffrant d’asthme ou de BPCO (bronchopneumopathies chroniques obstructives), les pics de pollution aggravent l’état de santé : décompensations, passage aux urgences, voire surmortalité. On parle d’environ 8 millions de décès par an dans le monde liés à la pollution, et entre 50 000 et 100 000 en France.

Il faut aussi évoquer le tabac, responsable de 7 millions de morts par an dans le monde. C’est un polluant majeur, souvent oublié dans les discours sur la pollution atmosphérique. Il a un effet délétère sur le fumeur, mais aussi sur les personnes exposées au tabagisme passif, y compris les fœtus, si la mère fume pendant la grossesse.

La combinaison pollution plus pollen peut aussi provoquer des crises d’asthme chez des personnes non malades auparavant. Les pathologies concernées sont principalement l’asthme et les rhinites allergiques.
 

2. Observez-vous une évolution des maladies respiratoires au fil du temps, notamment au niveau régional (par exemple au Pays basque), en lien avec la pollution, le changement climatique ou d'autres facteurs environnementaux ? Quelles mesures de prévention recommandez-vous aux pouvoirs publics et aux citoyens ?

Oui, nous constatons une réelle évolution des maladies respiratoires, à la fois au niveau national et régional. De manière générale, l’aggravation de la pollution atmosphérique et le réchauffement climatique ont des effets très concrets sur la santé respiratoire.
Les expositions prolongées aux particules fines, aux gaz polluants et aux pollens entraînent :

  • Une hausse des infections respiratoires, des exacerbations d’asthme et de BPCO,
  • Une augmentation des cancers du poumon, avec environ 7 % des cas attribuables à la pollution, selon les dernières données.

Avec le réchauffement climatique, les concentrations d’ozone augmentent — un polluant particulièrement nocif. Par ailleurs, les saisons polliniques sont plus longues, commençant dès janvier et se prolongeant jusqu’à octobre. Cela aggrave les symptômes chez les personnes allergiques, notamment les asthmatiques.

Dans notre région, le Pays basque, nous observons aussi une prévalence importante des allergies aux acariens, liée à l’humidité du climat local. L’asthme reste une pathologie fréquente et grave quelle que soit la région : environ 4 millions de personnes sont asthmatiques en France, et 10 % des enfants sont asthmatiques. On prévoit qu’en 2050, 50 % de la population mondiale sera allergique, toutes pathologies allergiques confondues (respiratoires, alimentaires, cutanées…).

Des recherches récentes ont également montré que certaines particules fines pouvaient activer des mutations génétiques latentes, augmentant ainsi le risque de cancer — même sans tabagisme. C’est un champ de recherche encore en développement, mais qui montre à quel point la pollution peut interagir avec notre génome.
Côté prévention, plusieurs actions sont essentielles :
Pour les pouvoirs publics :

  • Limiter les sources de pollution : réduire la circulation automobile, éviter les chauffages au bois ou les brûlages de déchets, prévenir les incendies.
  • Maîtriser la végétalisation urbaine : éviter la plantation d’espèces hautement allergisantes comme les cyprès, notamment si les taux polliniques sont déjà élevés.
  • Déployer des capteurs polliniques pour mesurer en temps réel les types et niveaux de pollen, anticiper près de 3 jours avant des pics de pollution et diffuser l’information aux écoles, collectivités, citoyens via divers canaux comme par exemple les panneaux numériques des villes.

Pour les citoyens :

  • Éviter les activités physiques en extérieur les jours de pollution ou de pic pollinique.
  • S’informer sur les conditions atmosphériques locales via les alertes disponibles.
  • Réduire son exposition personnelle : par exemple, éviter les déplacements motorisés non essentiels, ou ventiler intelligemment son domicile.

3. Quels enseignements ont été tirés de la crise Covid sur la qualité de l’air et la santé publique ?

On aurait aimé que cette crise marque un vrai tournant durable, mais malheureusement, avec le recul, on constate surtout un retour aux anciennes habitudes. Il y a eu une prise de conscience forte au début, mais elle n’a pas vraiment été suivie d'effets à long terme.
Dans les hôpitaux, certaines mesures ont été mieux intégrées : l’utilisation des masques s’est généralisée, pas seulement contre le Covid, mais aussi en période de grippe ou d’autres infections respiratoires. Cela dit, ces pratiques existaient déjà dans notre domaine, en pneumologie, notamment pour la tuberculose. Ce qui a surtout changé, c’est la compréhension du grand public : les gens ont pris conscience que des gestes simples — comme porter un masque ou aérer une pièce — peuvent réellement limiter la transmission des virus.
En revanche, sur des sujets comme la vaccination des soignants, les progrès sont décevants. Malgré les leçons du Covid, la couverture vaccinale contre la grippe reste très basse dans les milieux hospitaliers, alors même que la grippe tue chaque année et est très contagieuse. Il y a une forme de lassitude, voire de rejet, même chez les professionnels de santé.

Du côté des politiques publiques, il y a eu beaucoup de discours, de grandes annonces... mais peu de transformations visibles sur le terrain. Par exemple, la nécessité d’aérer les lieux clos est désormais mieux connue, mais les infrastructures ne suivent pas toujours : peu de bâtiments publics ont été réellement adaptés, notamment dans les écoles, les EHPAD ou les transports.
Sur le plan environnemental, on a observé pendant les confinements une baisse très nette de la pollution : les transports à l’arrêt, les industries ralenties... Résultat, une amélioration temporaire mais marquée de la qualité de l’air. Cela montre bien que nos activités humaines ont un impact direct, et que des effets positifs peuvent être observés très rapidement quand les émissions baissent. Malheureusement, après la crise, on est repartis parfois avec encore plus d’intensité qu’avant.

Pendant la période où le port du masque était généralisé, on a aussi observé une chute spectaculaire des autres infections respiratoires : beaucoup moins de grippe, beaucoup moins de bronchiolite chez les enfants. C’est une preuve claire que les gestes barrières fonctionnent. Pourtant, aujourd’hui, ces gestes sont devenus marginaux — le lavage de mains, l’usage de gel hydroalcoolique, l’aération régulière des pièces ne sont plus systématiques, alors que ce sont des moyens simples, peu coûteux et efficaces.

Enfin, je dirais que sur le plan humain, le Covid a laissé des traces. Beaucoup de gens ont vécu cette période comme un traumatisme. Et cette volonté collective « d’oublier » ce moment a aussi conduit à mettre de côté les bonnes pratiques qui auraient pu perdurer.

En résumé, il y a eu des prises de conscience, mais pas encore de transformation en profondeur, ni dans les comportements, ni dans les politiques de santé. Ce qui est dommage, car cette crise aurait pu servir de levier fort pour intégrer durablement des réflexes de prévention face aux maladies respiratoires — et plus largement sur la qualité de l’air.

Aller plus loin

Mission Climat et Pollution

“5 minutes d’air pur” une série de “capsules vidéo ” en deux saisons réalisée par la Société de Pneumologie de Langue Française qui permet de comprendre le lien entre pollution, climat et santé respiratoire.

Visionner les vidéos

Retour