Crise du Covid-19 : l’aperçu d’une nouvelle mobilité urbaine ?

Guillaume Simonet est titulaire d’un PhD en Sciences de l’environnement de l’Université du Québec à Montréal (Canada) et d’un Doctorat de Sociologie de l’Université de Paris Nanterre. Il est spécialiste des questions d’adaptation aux changements climatiques, c’est à dire des dynamiques de réorganisation territoriale, institutionnelle ou comportementale face aux impacts climatiques et globaux. Ses parcours universitaires (biologie, géographie, sociologie) et professionnels variés entre le Canada et la France lui ont permis d’acquérir un profil interdisciplinaire et systémique lui permettant d’aborder les enjeux climatiques de manière décloisonnée avec les multiples autres enjeux globaux. Dès 2002, il débute dans le domaine des changements climatiques en tant que chargé de mission au Ministère des transports du Québec puis dès 2005 à Ouranos (Canada)  au sein duquel il entame en 2007 une carrière de chercheur spécifiquement axée sur les questions d’adaptation. Durant 10 ans, ses travaux ont porté sur les contours théoriques de la notion d’adaptation, sur son intégration dans les politiques climatiques locales et sur les barrières et leviers favorisant sa mise en pratique au sein de plusieurs projets de recherche (Projet Milton-Parc, ANR Adapt’Eau, ABSTRACT-colurba). Aujourd'hui, Guillaume partage son expertise en tant que consultant, conférencier et chercheur indépendant en adaptation aux changements climatiques au sein d’Abstraction Services qu’il a fondé en 2016. Il intervient dans plusieurs formations universitaires et professionnelles (CNFPT, Comité 21 . En 2017, il lance le Réseau d’Expertise sur les Changements climatiques en Occitanie (RECO) dont il est aujourd’hui coordonnateur.

Au delà des enjeux sanitaires évidents, la crise actuelle liée au Covid-19 (re)met en lumière les multiples autres enjeux auxquels sont confrontés les territoires. La mobilité en fait partie, mise à l’épreuve par le confinement obligatoire et l’arrêt brutal du tiers des activités économiques à l’échelle nationale. Rappelons brièvement qu’en France le secteur des transports est responsable de 39% des émissions de GES, pondération rendue plus élevée du fait de la spécificité énergétique nationale basée sur le nucléaire. Les transports routiers en représentent 80% parmi lesquels, 61% proviennent des voitures particulières. Or, depuis le 17 mars 2020, une nouvelle réalité s’est progressivement installée dans les centres urbains où se concentrent une partie de l’activité sociale, commerçante et culturelle des territoires.

Quand les voitures ne sont pas là, nos sens dansent…

C’est ainsi que depuis quelques semaines, dans les centres urbains tel que celui de Toulouse, les chants des (quelques) oiseaux (restants) ont remplacé le brouhaha de l’agitation matinale, tandis que les odeurs gazolées ont laissé place aux senteurs fraîches de rosée et de fleurs naissantes. Dans les rues désertes, de rares coureurs, cyclistes ou promeneurs déambulent sur un rythme distancié et méfiant mais calme. L’espace public est désormais approprié par une mobilité douce, sous le regard d’automobiles silencieuses sagement parquées et de rideaux des commerces tristement fermés. Seules les rares interventions municipales troublent cette ambiance de « jour férié permanent » désormais quotidienne.

Or, ce portrait pourrait bien être un aperçu d’un futur proche qui pourrait se dessiner à la faveur d’une politique urbaine audacieuse ou d’une conséquence subie issue de la disparition programmée des ressources hydrocarbonées. En effet, l’impact de la crise sanitaire sur les émissions des GES du secteur des transports en Europe est évalué à -73,7%, seuil qui se rapproche de la baisse de 76% nécessaire pour s’aligner sur une trajectoire 1,5°C, effort qui serait notamment assujetti à une « interdiction de la voiture à moteur thermique en centre urbain en 2024, les voies urbaines étant dédiées aux vélos » tel que le recommande l’étude du cabinet d’analyse BL Evolution.

Une expérience grandeur nature envisageable…

Dès lors, ce contexte inattendu et inédit d’arrêt de la mobilité fait soudainement office d’expérience grandeur nature sur ce que ressemblerait une vie urbaine exempte d’automobiles. La suite d’une logique de réappropriation de ces espaces devenus vacants est facilement imaginable. Des cyclistes qui foisonnent le long des chaussées et de larges bas côtés qui abritent terrasses, marchés et flâneurs. La multiplication de denses bosquets aux espèces diversifiés et de places arborées. Des architectures nouvelles qui côtoient des remises en valeur de patrimoines oubliés. Quelques petits véhicules électriques municipaux dédiés à l’entretien et aux déchets qui se faufilent discrètement au milieu d’activités culturelles en plein air. Et tous les matins, les chants d’oiseaux revenus à la faveur d’insectes non persécutés qu’accompagne la senteur de la rosée.

… ou bien rapidement oubliée

Sans un projet politique qui accompagnerait ce scénario, la disparition inéluctable des ressources hydrocarbonées et des moteurs thermiques pourrait laisser place à une trajectoire moins rose. On y verrait alors des îlots d’asphalte gris abandonnés, qu’une végétation sans scrupule coloniserait rapidement (si on lui en laissait l’opportunité), comblant l’absence d’aménagements urbains dû au manque de ressources financières… parce qu’investies dans de coûteux projets d’élargissement de périphériques, de réaménagement de carrefours ou de renouvellement de chaussées, et ce, tout au long de quelques décennies. Il n’est pas insensé d’imaginer alors que les ressources hydrocarbonées qui resteraient, acquises au prix fort car devenues rares, seraient prioritairement données au secteur agricole. Entre ne plus pouvoir se mouvoir en véhicule particulier et devoir participer aux difficiles corvées des champs, les choix de contraintes seront vite faits…

Une excellente initiative… de facto

Ainsi donc, cette initiative de facto d’avoir fortement interdit la mobilité thermique nous donne l’opportunité de mesurer pleinement l’effort qu’il faudrait consentir dans ce secteur pour amorcer une trajectoire durable en termes d’émissions de gaz à effet de serre. L’initiative nous donne également un aperçu de ce que l’absence de véhicules dans certaines zones peut apporter en termes de gains pour la santé, de reconnexion avec nos sens et de liens avec le monde vivant non humain. Car pendant que les médias s’affairent bruyamment à comptabiliser quotidiennement le nombre de victimes de la crise sanitaire actuelle (sous fond de records d’audience), le mois de mars 2020 figure désormais comme le 4ème mois de mars le plus chaud jamais enregistré. Et silencieusement, les changements climatiques, les glaciers, la montée du niveau des océans ou encore les migrations vers le nord d’espèces et de pathologies poursuivent leurs évolutions potentiellement destructrices pour des millions de personnes et d’espèces végétales et animales.

Par Guillaume Simonet
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