L'incroyable paradoxe...

François ESNAULT est un praticien de l’environnement. Ayant débuté sa carrière au sein d’entreprises, de bureaux en France et à l’étranger, il assure, depuis 20 ans, la mise en œuvre de l’action du Conseil départemental des Pyrénées-Atlantiques, dans le domaine de la nature et des paysages.

A l’heure où la diversité des formes du vivant sur terre s’effondre, on assiste paradoxalement en France et particulièrement dans le Sud-Ouest, au retour de la grande faune. Bouquetins, Lynx, Castor, Loutre, Chacal doré, Vautours fauve, Ours brun, Loup gris, Saumon atlantique, Grues cendrées. Tous ces animaux peuplent nos légendes et notre imaginaire. Certains ornent même encore les blasons de nos communes respectives. Après des décennies de disparition, ils sont là, à nos portes. Le confinement en Mars 2020, a laissé le champ libre aux animaux sauvages qui ont surgit sur nos écrans de télévision. Mais par quel miracle ? Le territoire s’ensauvagerait-il ? Faut-il considérer ce retour comme un inquiétant chant du cygne ou faut-il y voir, au contraire la démonstration d’une nature résiliente ?

Les Pyrénées-Atlantiques, un territoire de grande diversité

Les Pyrénées-Atlantiques représentent un territoire d’exception. C’est un des rares départements en France sur lequel s’accomplit le cycle complet de l’eau. C’est le seul département à posséder une montagne atlantique, ce qui lui confère une originalité en termes de milieux naturels. C’est un point de passage privilégié pour les grandes migrations animales (oiseaux, papillons, poissons…). Il en résulte une diversité et une richesse incroyable. Songez par exemple que la commune d’Urrugne accueille près du quart de la flore nationale, qu’Ustaritz comptabilise plus de 100 espèces différentes de mammifères, sur 158 en France… Ces paramètres ont forcément conduit la communauté scientifique à s’intéresser à ce territoire. D’abord pour recenser les espèces, puis pour les cartographier, enfin, pour estimer le risque de les voir disparaitre. Et le constat est sévère.
 

Diagnostic et points d'alertes

Le retour de la grande faune, ne saurait, de ce point de vue, cacher un réel effondrement de la biodiversité en Europe occidentale. Non pas que les espèces disparaissent du globe – c’est finalement assez rare notamment dans notre région - mais ce sont les effectifs au sein de chaque espèce qui s’effondrent. En 2018, plusieurs alertes ont été portées à la connaissance de l’opinion publique ; baisse de la biomasse d’insecte volants de -76% en 27 ans, sur 63 zones protégées en Allemagne, diminution des oiseaux communs en France (voir fig.1). C’est aussi la variabilité du socle génétique qui s’appauvrit et qui constitue une menace, probablement bien plus insidieuse, à terme.

A mesure que l’urgence écologique se précise, les efforts financiers (voir fig.2), humains, technologiques, consentis pour étudier et suivre les espèces s’accroissent. Les protocoles de suivi se mettent en place. La population est appelée à collaborer dans le cadre d’opérations de sciences participatives. Les capacités de traitement des ordinateurs évoluent. Tous ces éléments conjugués ont permis de préciser le diagnostic sur l’état de la biodiversité et dépasser le jugement à dire d’expert des années 80, en donnant un statut aux espèces dans le cadre des listes rouges.

Tout récemment, en Mars 2021, l’Office Français de la Biodiversité a publié un rapport sur l’état de la biodiversité en France. Le constat tient en 3 chiffres : parmi les 13 842 espèces évaluées (sur 100 000 présentes), 2430 sont menacées, 187 ont disparues ou se sont éteintes. En Aquitaine, c’est une espèce sur 4 qui risque de disparaitre ; 6% des mammifères non volants, 23 % des Chiroptères (Chauve-souris), 40% des oiseaux, 15% des libellules, 21% des papillons de jour, 32% des Amphibiens et des reptiles, 14% des poissons d’eau douce sont menacées. Dans le département des Pyrénées atlantiques, 11% des espèces animales et 5% des espèces végétales sont menacées de disparition à plus ou moins brève échéance ; ce qui place le territoire dans une situation plus préservée qu’ailleurs.

Pour poursuivre et donner quelques exemples dans les Pyrénées-Atlantiques, le Grand Tétras a perdu 40 km de son aire géographique en 40 ans en contractant son aire vers l’Est. Le Desman des Pyrénées, autrefois très présent dans les cours d’eau du Pays basque, ne se retrouvent plus que dans l’un d’eux, le Saison ainsi que la partie Béarnaise, et en Occitanie. Si l’on remonte l’histoire, plusieurs espèces ont disparu du territoire départemental. Les plus connus sont la Baleine des basques et dont il reste plusieurs centaines d’individus dans l’hémisphère sud, le Lézard ocellé ayant subi les attaques des chats domestiques, s’est réfugié sur le cordon dunaire landais.
Autrement dit, si les animaux reviennent, c’est qu’ils n’ont jamais réellement disparu sur terre. Ils se sont simplement déplacés vers les territoires alentours, et font leur retour à la faveur de conditions plus favorables vers la France qui constitue un véritable carrefour biogéographique.

Quelques retours inattendus...

La grande faune représente souvent des espèces ayant de forte capacité à se déplacer, leur conférant un avantage à l’expansion. Un jeune Loup gris peut faire près d’un millier de kilomètre en 3 semaines et un Vautour, 800 km en quelques heures. D’autres ont aussi des comportements plastiques, parfois même opportunistes. C’est le cas de la Loutre d’Europe qui, en moins de 10 ans a reconquis tous les cours d’eau du département y compris les plus dégradés. La Cigogne blanche inexistante encore dans les années 70 dans le bassin de l’Adour se développe en consommant notamment les écrevisses exotiques qui prolifèrent dans les canaux. Les plus grands oiseaux d’Europe (Grues cendrées) s’arrêtent aussi dans les barthes, en consommant les restes de maïs tombés au sol durant l’hiver. C’est loin d’être le cas de la plupart des espèces ayant des exigences écologiques strictes en termes d’habitat, et n’ayant pas cette capacité à se déplacer.

Plusieurs autres facteurs expliquent ces retours aussi spectaculaires qu’inattendus :
Indéniablement, la loi de protection de la nature adoptée en 1976 a joué un rôle. C’est à cette époque que des listes d’espèces protégées ont été arrêtées interdisant notamment leur prélèvement sous forme de chasse et pêche, leur capture, que les études d’impacts ont été rendues obligatoires avant de réaliser des travaux, que les actions d’associations de protection de la nature ont été reconnues dans leur action notamment juridique… C’est l’acte fondateur qui a permis d’inverser les courbes. L’exemple bien connu est celui de la population de Vautour fauve qui était autrefois décimées par des chasses d’aristocrates, en quête de trophées.

L’homme a parfois aussi hâté leur retour et on se souvient des lâchers médiatiques de deux ourses en Béarn. Plus spectaculaire probablement est le retour du roi des poissons. Le Saumon atlantique qui foisonnait, au point d’en nourrir les cochons dans les fermes du bas-Adour, avait totalement disparu de nos cours d’eau entre 1940 et 1980 en raison de la dégradation des frayères, de l’installation d’obstacles à la montaison, ainsi que des pêches parfois excessives. Grâce aux efforts combinés de tous (associations, pouvoirs publics, pêcheurs, entreprises hydroélectriques,…), 600 poissons géniteurs parvenaient à remonter les cours d’eau du département en 1998, et près de 5000 en 2018.

Le changement climatique, une cause majeure

Le territoire a connu aussi de sérieuses évolutions depuis l’après-guerre. La concentration de la population dans les aires urbaines aux dépens de vastes portions de territoire très peu peuplées laisse le champ libre aux espèces pour se réinstaller en toute quiétude.
Le changement climatique est aussi un moteur puissant de ces migrations. Nous venons de connaitre les années les plus chaudes jamais enregistrées. En janvier 2021, Météo France a même annoncé que les fameuses normales climatiques - qui avaient été bâties sur des moyennes enregistrées entre 1970 et 1980 et qui servent chaque jour à comparer les températures, les précipitations - allaient être revisitées. L’étude révèle que Strasbourg connait en 2020 un climat semblable à celui de Lyon en 1970, que Paris connait le climat de Bordeaux. Conséquemment, la faune se déplace, particulièrement les invertébrés dans une composante Sud/Nord. Par exemple, le front des papillons remontent de 20 km/an quand d’autres, au sud, font leur apparition (Agrion du Maghreb, Criquet égyptien...). Il en est de même, dans l’océan, puisque des poissons comme l’Anchois par exemple, autrefois très péchés au large de nos côtes sont remplacés par d’autres.

Les conclusions à en tirer

D’abord conclure avec évidence, que le retour de la grande faune est un peu l’arbre qui cache la forêt ; qui, elle, brûle à petit feu, depuis des décennies.

Ensuite, s’étonner de la vitesse de reconquête. Que de chemin parcouru puisqu’en l’espace d’une génération, tous ces animaux sont revenus. Le ciel s’est repeuplé du vol planant des Aigles, des Milans, nos cours d’eau retrouvent le frai de poissons et les ongulés sont visibles partout. Cela démontre l’incroyable capacité d’adaptation et la résilience de la nature.

Le point probablement le plus important relève de la vision que nos sociétés contemporaines projettent sur la nature. Vision fixiste d’abord, puisque nous avons l’impression que les espèces sauvages se sont repliées vers des endroits inaccessibles, et qu’ils n’en bougeront pas. Vision paternaliste ensuite puisque ces animaux sont cantonnés dans espaces protégés, des parcs, des réserves naturelles, des réservoirs de biodiversité où ils sont suivis, soignés et parfois même assignés à résidence. Rappelons juste que la loi Climat et résilience en cours d’examen au parlement poursuit cette orientation, puisqu’elle s’engage à protéger 30% du territoire national, dont 10% en protection règlementaire forte dans les prochaines années. Ce retour de la grande faune bouscule les équilibres socio-économiques, interpellent aussi les aménageurs. Au vu de ces incursions jusque dans nos campagnes, nos cours d’eau, nos villes, et compte tenu de la circulation attendue des espèces liée au changement climatique, ne faut-il pas instaurer une forme nouvelle de relation à la nature passant d’un stade de domination de l’homme sur les animaux, à celui de voisin, qui consiste à considérer leur présence. En somme, à coexister ?

Par François ESNAULT
francois.esnaultle64.fr

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